La cloche sonne, il est l'heure pour moi d'entrer dans cette amphithéâtre. Je serai seul contre eux tous, je serais l'étranger face au reste du monde. Une petite place au milieu de l'amphi, je m'y installe, le prof arrive et le cours commence. Celui-ci aurait pu être intéressant, si autour de moi, il n'y avait cette rumeur bruyante.

On parle de Spring Break, de cette fameuse Brittany, de sa mort. Des noms circulent, des regards en coin balayent l'amphi. Certains se posent sur moi, au point que quelques étudiants me parlent. Ils me demandent mon avis sur la question, mon nom, ce que je fais là. Moi, je reste muré dans mon silence, je garde la tête rivé sur le tableau. Je ne suis pas du genre à alimenter les bruits de couloirs. Je préfère,  de très loin, les écouter, les comprendre et réussir à m'en servir. Non, je ne suis pas manipulatrice, j'aime juste posséder des informations sur ceux qui m'entoure. On ne sait jamais, cela peut servir. Surtout dans cette ville, où tous les coups semblent permis pour trainer ses voisins dans la boue.

En quelques jours ici, j'ai déjà eu la preuve de ce que j'avance. J'ai par exemple, hier entendu mon voisin hurler critiquer sa femme au téléphone après lui avoir quelques secondes plus tôt en face qu'il l'aimait plus que tous. Vous savez, les parois fines des studios du centre-ville sont vachement utiles pour ce genre de choses, écouter les petits secrets de nos voisins. À mon humble avis, c'est ça qui a entraîné la mort de Bee, sa curiosité. Je suis comme ça moi aussi, curieuse, trop curieuse même. J'ai cette envie d'apprendre, de découvrir, d'aller au bout des choses, même quand elles ne me concernent pas. Je sens ici, que ça pourrait me mettre en danger, mais je n'ai pas peur. En Chine, j'ai affronté bien pire et je m'en suis toujours sortis. Au fond, j'étais persuadé que ce serait la même ici.

Je suis tellement perdu dans mes pensées que je n'entends pas ma voisine me poser une question. Je la regarde l'air ailleurs et lui demande très gentiment de répéter. Elle le fait, plus lentement, non sans glisser dans sa voix comme une pointe de méchanceté. Elle doit penser que je ne la comprends pas, que je suis juste une jolie asiatique lâchée dans la jungle américaine sans comprendre le moindre mots. La pauvre, si elle savait, sa réaction ne serait surement pas la même. Elle en serait même, je pense très éloigné. De toute manière, un jour elle saura et elle s'en mordra les doigts. Je ne suis pas le genre de fille à laisser de fausses rumeurs, de mauvaises impressions traîner sur mon compte. Je suis plutôt du genre à percer l'abcès quitte à faire mal, très mal même.